Cher frère Alain Mabanckou, voici venu le temps de parler des tourbières du Congo

LETTRE OUVERTE

Très cher léki na ngai Alain,

J'écris cette lettre ouverte pour partager avec toi une préoccupation qui me tient à cœur et pour solliciter ton soutien en tant qu'écrivain engagé et personnalité influente. Nous nous sommes croisés à deux reprises par le passé. La première, c’était à l’occasion de la célébration à l’ambassade du Congo en France à la suite du prix Renaudot remporté par toi en 2006. La rencontre à la boutique Connivences, Métro Château d’Eau chez Armel Jocelyn Le Bachelor, fût la seconde. Le propriétaire des lieux, sachant que je séjournai dans la région parisienne, m’avait prévenu de ta présence dans sa boutique pour l’enregistrement d’un reportage en rapport avec une émission où tu étais l’invité sur France 2.

J'ai publié un tweet en début de ce mois dans lequel j'ai interpellé plusieurs personnalités éminentes, dont toi, afin de plaider pour une restitution transparente des biens congolais mal acquis. J'ai souligné l'importance d'une collaboration entre les instances onusiennes, les ONG Sherpa et Transparency international, la diaspora et la société civile congolaise. Il est intéressant de noter que nous nous suivons sur Twitter avec trois chercheurs spécialistes des milieux humides mentionnés dans ce tweet. Cela démontre que mes alertes concernant les tourbières du Congo suscitent l'attention des scientifiques.

Les tourbières du Congo, à cheval entre la République Démocratique du Congo et la République du Congo, abritent la plus grande tourbière tropicale au monde. Elles s'étendent sur un territoire équivalent à près de quatre fois la superficie de la Suisse et séquestrent trente milliards de tonnes de carbone, soit l'équivalent de vingt années d'émissions de CO2 des États-Unis. Les experts s'accordent à dire que ce site est une véritable bombe à retardement.

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. Martin Luther King.

Cette exigence s’applique pour la conservation de notre planète.

La découverte des tourbes du Congo rend urgente la sensibilisation de la population locale. Il est essentiel d'impliquer les habitants des deux Congo et de les inciter à devenir les gardiens de ces tourbières, car l'avenir de la planète se joue en partie sur les rives du fleuve Congo. En d'autres termes, le destin de cette zone tourbeuse est strictement lié à l'amélioration des conditions de vie des Congolais. Le principal défi réside dans le fait que 70 % des Congolais vivent avec moins de deux dollars par jour, ce qui souligne le besoin crucial de ressources financières. La restitution des biens mal acquis pourrait fournir à la société civile congolaise des ressources considérables pour promouvoir des initiatives citoyennes, priorité aux projets en lien avec l’agriculture, l’élevage, la pisciculture et l’agro-alimentaire.

De plus, les récentes révélations du Canard Enchaîné datées du 12 juillet 2023 mettent en lumière non seulement l'inconscience des autorités congolaises, mais aussi leur incapacité à gérer un écosystème tel que les tourbières du Congo. La dégradation de ces tourbières condamnerait l'avenir de la planète tout entière. C’est une évidence.

En 2016, tu as été classé parmi les 50 français les plus influents du monde, et à mon avis, cette position n'a pas changé depuis. Tu es un écrivain engagé, et une simple recherche sur Google suffit pour mesurer ton amour pour les deux Congo. De plus, tu entretiens une relation étroite avec le Président Emmanuel Macron.

Les relations internationales sont le domaine réservé du Président de la République, et c'est à lui que revient le pouvoir de restituer les biens mal acquis aux populations congolaises. Je t'invite donc, en tant que personnalité respectée et influente, à utiliser ton influence et ton accès au Président Macron pour plaider en faveur de cette cause. Une restitution transparente de ces biens contribuerait à améliorer les conditions de vie des Congolais et pourrait permettre à la société civile congolaise de jouer un rôle prépondérant dans la préservation des tourbières du Congo, et par conséquent, du devenir l’humanité. La prise de conscience collective est essentielle dans l'activation du rôle de garde-fou.

Léki ya mounou, autant les tourbières sont pour les deux Congo un don de dieu, autant ces deux pays frères ont la chance d’avoir un ambassadeur de ton gabarit. J’espère désormais que le Secrétaire général de l’ONU, Monsieur António Guterres, comptera avec ta voix toutes les fois, où que ce soit, que la question des tourbières du Congo se posera. Il y va du sort de l’humanité tout entière.

Nous avons à Lyon un ami en commun, universitaire comme toi, avec qui j’échange régulièrement. Nous partageons les mêmes valeurs. Il connait mon potentiel en terme de mobilisation.

Je te remercie d'avoir pris le temps de lire cette lettre ouverte, et j'espère sincèrement que tu pourras apporter ton soutien à cette cause cruciale.

Bien à toi

Philippe Assompi

Lanceur d’alerte