La rumba, les mabangas (dédicaces) et la starisation des politiques : bourreaux des Congolais

La rumba congolaise, joyau culturel du bassin du Congo, a traversé des décennies en s'imposant comme un symbole de l'identité africaine. Cependant, son évolution récente a suscité des débats. Contrairement au reggae, souvent perçue comme une musique de revendication sociale et politique, la rumba semble s'éloigner de son rôle fédérateur et critique. Ce glissement est accentué par le phénomène des mabangas , ou dédicaces, qui transforment la musique en outil de propagande pour les élites politiques. Cette pratique, combinée à la starisation des gouvernants, plonge la société congolaise dans une anesthésie collective tout en contribuant à la clochardisation de son patrimoine musical.

Philippe Assompi

1/21/20254 min read

Les mabangas : flatteries lucratives et perte de sens artistique

Le terme mabanga désigne ces dédicaces personnalisées que les musiciens insèrent dans leurs chansons en échange d'argent ou de faveurs. Souvent, ces dédicaces s'adressent à des personnalités influentes, notamment des politiciens ou des hommes d'affaires, dans le but de renforcer leur image publique.

Les artistes rivalisent de créativité pour produire les éloges les plus frappants, mais cette démarche est rarement désintéressée. Ainsi, au lieu de critiquer les injustices sociales ou de valoriser le peuple, la rumba devient un vecteur d'égo et un outil de promotion pour des élites, détournant l'attention des véritables enjeux sociétaux.

Cette dynamique s'exprime dans les concerts, où le public assiste à une surenchère d'hommages aux mécènes, éclipsant parfois complètement la performance musicale. L'énergie créatrice des artistes est canalisée vers la glorification des puissants, renforçant une culture de dépendance et d'inaction.

La rumba, une arme de propagande

Avec les mabangas, la musique congolaise s'éloigne de son essence initiale pour devenir un outil de communication au service des puissants. Cette évolution est particulièrement visible dans le style musical du sébéne , où les passages instrumentaux permettent d'intégrer des dédicaces à répétition, souvent au détriment de la qualité artistique.

En utilisant leur influence, les politiciens exploitent la popularité des artistes pour asseoir leur pouvoir. Ces derniers, en quête de financements ou de prestige, acceptent de glorifier ces chiffres, même lorsque leur gouvernance est critiquable. Ce mariage entre musique et politique a un effet pernicieux sur la société congolaise : il valorise des modèles oppressifs tout en anesthésiant la capacité critique des citoyens.

Ce phénomène n'est pas sans rappeler d'autres contextes où la culture populaire a servi des régimes autoritaires. Mais là où le reggae ou le rap dénoncent les oppressions, la rumba, par ses mabangas, semble les ignorer, voire les soutenir.

La diaspora, complice d'un système défaillant

Ce phénomène ne se limite plus au Congo. Des artistes issus de la diaspora, notamment en Europe, adoptent également cette pratique. Certains rappeurs franco-congolais et belgo-congolais, censés représenter une voix émancipée et éclairée, se retrouvent à fréquenter les mêmes élites controversées que leurs homologues locaux.

Alors qu'ils pourraient utiliser leur art pour dénoncer les dérives des pouvoirs en place, beaucoup privilégier la proximité avec ces milieux, parfois pour des gains financiers ou une reconnaissance sociale. Ce comportement est d'autant plus problématique qu'il perpétue une culture de complaisance envers les régimes responsables des crises sociales et économiques qui minent les deux Congo.

La rumba et le succès des rappeurs congolais en Occident : une puissance collective encore inexploitable

La diaspora congolaise dispose de leviers culturels puissants pour faire rayonner la cause des deux Congo sur la scène internationale. Parmi ces atouts, les rappeurs d'origine congolaise, portés par les sonorités emblématiques de la rumba, rencontrent un succès éclatant en Occident. Des artistes tels que Youssoupha, Maître Gims, Abd Al Malik, Passi, Damso, Shay, Naza, Keblack, Niska, Dadju ou Singuila incarnent des porte-voix potentiels pour une mobilisation d'envergure. Cependant, ces personnalités influentes agissent principalement à travers des initiatives isolées et dispersées, limitant leur impact face aux défis majeurs, notamment la pauvreté endémique qui frappe les deux Congo. La clé réside dans une union collective, longtemps espérée mais jamais concrétisée.

Les tourbières du Congo : un pont entre les deux rives, une opportunité de mobilisation pour la diaspora

Occupant à peine 3 % de la surface terrestre continentale, les tourbières abritent pourtant un niveau des réserves mondiales de carbone des sols, selon le CNRS. Celles du bassin du Congo, réparties à 1/3 en République du Congo et 2/3 en République démocratique du Congo, constituant le plus grand complexe de tourbières tropicales au monde. Cet écosystème vieux de plus de 14 000 ans est crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Les experts s'accordent à dire que la préservation de ces tourbières ne peut être garantie que si les populations congolaises en deviennent les gardiennes. En retour, la communauté internationale devra fournir des financements pour améliorer les conditions de vie locales, un enjeu crucial pour l'avenir de la planète.

Si ce sujet était placé au cœur de l'actualité, les deux Congo pourraient en tirer d'immenses bénéfices. C'est une opportunité unique pour les artistes de la diaspora franco-belge, notamment les rappeurs d'origine congolaise, de s'unir et de porter cette cause sur le devant de la scène. Leur mobilisation ngambo na ngambo pourrait faire écho à l'adage : Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.

La rumba congolaise, autrefois porteuse d'espoir et d'unité, s'érode sous l'influence des mabangas et de la starisation des politiques. Ce phénomène, loin d'être anodin, illustre une instrumentalisation de la culture à des fins propagandistes, anesthésiant la conscience collective et détournant la musique de son rôle premier : celui d'être une voix pour les sans-voix.

Il est impératif pour les artistes congolais, qu'ils soient locaux ou issus de la diaspora, de retrouver leur rôle de vigie sociale et de se distancer des pratiques qui trahissent l'essence de leur art. Car, au-delà du divertissement, la musique reste un puissant levier pour inspirer le changement et éveiller les consciences.

Philippe Assompi