Des paysans batékés à Ngo expulsés par Denis Sassou Nguesso pour des crédits carbone TOTAL ENERGIES au Congo
Les agriculteurs et les populations autochtones sont sommés de quitter leurs terres pour laisser la place à un projet de plantation d’acacias de TotalEnergies.
Deutsche Welle
3/8/20234 min read
Des centaines d’agriculteurs ne peuvent plus cultiver leurs champs dans la localité de Ngo, située dans le département des Plateaux Batéké, à 250 kilomètres au nord de Brazzaville, en République du Congo. La raison de leur expulsion : le groupe pétrolier TotalEnergies veut y créer une plantation d’acacias et ainsi obtenir une compensation carbone.
40.000 hectares de terres, une superficie environ quatre fois plus grande que la ville de Paris, est prévue pour accueillir des millions de plants d’acacias. Le projet titanesque est censé séquestrer à terme plus de dix millions de tonnes de CO2.
Depuis novembre 2021, les populations locales ne peuvent donc plus accéder au site, à l’image de Joachim Malipalabié, père de cinq enfants, qui cultive le manioc depuis plus de 20 ans dans la zone.
« Nous allons vivre comment ? Où devons-nous aller ? Aujourd’hui, nous n’avons plus d’endroit où travailler. Nous ne savons pas non plus où aller. Depuis qu’on nous a chassé, c’est un grand problème », a déploré le cultivateur à la DW.
Le calvaire des cultivateurs
Près de 500 agriculteurs ont leurs champs dans la zone occupée par le projet de plantation d’acacias. Ils sont pour la plupart des pygmées, une population autochtone et des semi-nomades venus des localités avoisinantes de Ngo.
Aujourd’hui, ils disent avoir perdu presque tous leurs moyens de subsistance.
" Moi, j’ai déjà libéré la zone donc je cherche désormais où aller. Trouver au moins un petit terrain pour cultiver. Je suis agriculteur mais pour les autres qui sont venus ici pour travailler, quelqu’un qui a par exemple cinq enfants, il va vivre comment ? Et il va faire comment ? ", se demande Mexan qui est de la communauté des pygmées.
Pourtant, le directeur des activités de puits naturels de carbone de TotalEnergies, Adrien Henry qui est revenu de Ngo deux jours avant notre entretien, rejette ces accusations d’expulsion et affirme que le groupe pétrolier discute avec les cultivateurs depuis des mois. Il affirme aussi que l’accès aux champs est toujours possible pour les populations locales.
" Pour ceux qui sont allés sur le site, vous pouvez constater que l'accès est libre. Les champs de manioc présents sont respectés, c'est-à-dire que le cycle agricole du manioc est respecté. Les gens peuvent aller dans leurs champs et les récolter en fin de cycle. L'accès pour la chasse est laissé libre ", a précisé Adrien Henry.
Des déclarations qui sont toutefois en contradiction donc avec les témoignages que nous avons recueillis auprès des populations autochtones.
Un projet qui n'est pas sans conséquence
Planter des arbres pour capter le CO2 est un moyen pour compenser les émissions du groupe TotaleEnergies liées à l’exploitation des énergies fossiles. Mais cette politique a des conséquences graves pour les populations locales, notamment autochtones, qui vivent difficilement en dehors de leur environnement naturel.
" Ma première pensée va d’abord aux peuples autochtones. Vous savez qu’ils ont une relation particulière avec la forêt et la savane, non seulement pour la pharmacopée, mais aussi pour se nourrir. Ils vivent de la cueillette et de la chasse. Alors expulser ces pauvres gens, c’est très difficile pour eux. Et c’est violer leurs droits ", regrette l’abbé Philippe Mbama, de la Commission justice et paix dans le département des Plateaux.
Le cultivateur Mexan, lui, ne décolère pas : " Brusquement, on nous fait partir comme ça. C’est difficile pour nous aujourd’hui là où nous sommes. Ici, à Ngo, c’est une zone pour l’agriculture qui permet de nourrir jusqu’à la capitale Brazzaville. "
Mexan cultive le manioc, un aliment de base au Congo et dans la région de Ngo qui approvisionne jusqu’à la capitale Brazzaville et le reste du pays en tubercules et céréales.
Mais depuis que les paysans n’ont plus accès à leurs champs, certains produits commencent à manquer, ce qui a provoqué une hausse des prix.
" Le manioc est en manque sur le marché, même ici à Ngo, et le tambour de la farine de foufou (manioc) est à 22.000 francs CFA à Ngo (soit une augmentation de 30 %, ndlr) et c’est toute la population de Ngo qui souffre aujourd’hui ainsi que les propriétaires terriens. Ils n’ont plus un endroit où travailler ", ajoute Mexan.
Un bail douteux
La plupart des cultivateurs ont loué les terres qu’ils exploitent à des propriétaires terriens autochtones. Ce sont ces derniers qui ont cédé toute la zone de Ngo, très fertile, à l’entreprise Forest Neutral Congo (FNC), filiale congolaise du groupe TotalEnergies, par l’entremise du gouvernement congolais.
La FNC gère le projet de plantation en partenariat avec le cabinet de conseil français Fôret Resources Management (FRM). Dans le bail, le gouvernement congolais s’engage à réinstaller les habitants expulsés.
Or, certaines familles cultivent leurs terres depuis des générations dans cette région. En juin 2020, un processus de consultation sur les indemnisations a débuté.
Des propriétaires terriens de la région expliquent avoir reçu des dédommagements mais ils se plaignent de la modestie des sommes offertes par l’entreprise Forest Neutral Congo.
Certains n’auraient ainsi reçu qu’un dollar par hectare des autorités.
Quant aux agriculteurs qui ne peuvent plus accéder à leurs champs, eux n’auraient carrément rien reçu. L’environnementaliste Issac Moussa estime que l’analphabétisme des populations indigènes serait l’une des raisons des violations de leurs droits fonciers …
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