Hypocrisie climatique : la gestion du bassin forestier du Congo par des pompiers pyromanes
En Afrique centrale, le deuxième plus grand massif forestier tropical du monde constitue un pilier majeur de l’équilibre climatique mondial. Pourtant, depuis la période coloniale, ces forêts sont exploitées selon un modèle extractif largement façonné par des intérêts étrangers et marqué par la corruption, l’impunité et une absence persistante de valeur ajoutée locale. À l’heure où l’urgence climatique impose de redéfinir les politiques forestières, la région doit se libérer d’un héritage pesant.
Philippe Assompi
12/11/20254 min read


Une exploitation forestière née de la colonisation
L’exploitation industrielle des forêts d’Afrique centrale remonte à la fin du XIXᵉ siècle, lorsque la France et la Belgique ont instauré les cadres juridiques et logistiques nécessaires pour extraire le bois tropical. Les lignes ferroviaires et les ports construits par les colonisateurs avaient avant tout pour fonction d’évacuer les grumes vers l’Europe. Cette structure a posé les bases d’un modèle d’exploitation unilatéral, où les populations locales ne bénéficiaient ni des retombées économiques ni du contrôle sur leurs ressources.
Un modèle extractif perpétué après les indépendances
Malgré les indépendances, l’organisation du secteur a très peu évolué. Le bois continuait d’être exporté quasi exclusivement sous sa forme brute, laissant aux industries européennes le soin de capter la valeur ajoutée liée à la transformation. Ce modèle a largement freiné l’industrialisation locale et consolidé la dépendance économique des pays forestiers. Aujourd’hui encore, ce schéma se maintient, même si d’autres acteurs internationaux sont désormais présents sur la scène.
L’ascension asiatique : nouveau visage d’un ancien système
Depuis les années 2000, les entreprises chinoises et malaisiennes ont pris une place croissante dans le secteur. Leur arrivée a modifié l’équilibre des forces sans transformer le fond du problème : l’Afrique centrale reste considérée comme un gisement de matières premières à bas coût. Les États, souvent en faiblesse dans les négociations contractuelles, peinent à imposer des conditions viables ou à garantir une gestion durable. Le changement d’acteurs ne signifie pas nécessairement un changement de pratiques.
Corruption, illégalité et absence de contrôle
La déforestation illégale représente l’un des défis les plus critiques de la région. Falsification des documents de traçabilité, attribution frauduleuse de concessions, complicité d’agents de contrôle : la corruption est systémique. Elle prive les États de revenus considérables, accentue la destruction des écosystèmes et entretient une impunité dangereuse. Dans ce contexte, la soutenabilité affichée par certaines entreprises n’est souvent qu’une façade destinée à satisfaire les exigences internationales.
L’hypocrisie climatique des pays occidentaux
Les pays occidentaux se présentent comme des champions de la lutte contre la déforestation tout en adoptant parfois des politiques paradoxales. Le cas du projet de l’Agence Française de Développement (AFD) en République du Congo, dénoncé en 2017, en constitue une illustration frappante. Officiellement dédié à la gestion durable des forêts, le projet favorisait indirectement l’expansion d’une entreprise impliquée dans l’exploitation intensive du bois. Ce type de contradiction mine la crédibilité de l’aide climatique internationale. Les financements destinés à la conservation ne peuvent avoir de sens que si les États donateurs s’abstiennent de soutenir, simultanément, des projets qui renforcent les logiques extractives.
La transformation locale : un impératif économique et social
Pour sortir du piège de la rente forestière, les pays du bassin du Congo doivent imposer la transformation locale du bois. Fixer un seuil minimal, par exemple 50 % de transformation sur place, permettrait de créer massivement des emplois, d’accroître les compétences techniques et de retenir une part significative de la valeur ajoutée. L’expérience du Gabon, qui a interdit l’exportation de grumes, démontre la pertinence de cette stratégie : multiplication des unités industrielles, montée en gamme des produits exportés et amélioration de l’emploi dans le secteur. En outre, l’utilisation optimisée des résidus de coupe permet une meilleure gestion environnementale et réduit le gaspillage de la ressource.
Le rôle structurant des Nations Unies : vers un nouveau cadre de gouvernance forestière
L’exploitation forestière en Afrique centrale demeure largement structurée par des cadres hérités de la période coloniale, orientés vers l’exportation du bois brut. Ce modèle extractif, aggravé par des pratiques illégales et certaines incohérences dans les politiques climatiques internationales, compromet la préservation du Bassin du Congo. La transformation locale du bois s’impose dès lors comme un levier central pour une gestion durable et un développement économique équilibré.
Dans cette perspective, il revient aux Nations Unies d’assumer un rôle moteur en inscrivant la réforme de la gouvernance forestière du Bassin du Congo parmi les priorités structurantes de leur agenda climatique, l’inaction face à ces enjeux engageant durablement la responsabilité collective de la communauté internationale. L’Organisation pour la Protection, la Préservation et la Promotion de l’Écosystème des Tourbières du Bassin du Congo - l'OPET-BC entend se positionner comme un interlocuteur de la société civile auprès des Nations Unies, afin de contribuer à ce dialogue multilatéral, de relayer les attentes des acteurs locaux et de promouvoir des cadres de coopération alignés sur les objectifs climatiques, économiques et sociaux de la région. Cette démarche a été portée à la connaissance du Secrétaire général des Nations Unies. Il ne peut l'ignorer.
Vers une souveraineté forestière : gouvernance et cohérence internationale
L’avenir du secteur repose sur deux leviers majeurs. D’une part, renforcer la gouvernance interne en sanctionnant réellement les pratiques illégales, en modernisant les administrations forestières et en associant davantage les communautés locales à la gestion des terres. D’autre part, contraindre les partenaires internationaux à aligner leurs actions avec leurs engagements climatiques. Cela implique d’exiger une transparence totale des financements, d’exclure les projets soutenant indirectement l’exploitation intensive et d’encourager les investissements dans la transformation locale. Ce double mouvement est indispensable pour sortir du cycle de dépendance et construire une filière bois durable, contrôlée et souveraine.
La filière bois d’Afrique centrale se trouve à un tournant décisif. Héritée d’un siècle de domination étrangère et minée par des pratiques illégales, elle peut néanmoins devenir un moteur stratégique du développement régional. À condition de rompre avec le modèle extractif, de privilégier la transformation locale et de restaurer la cohérence des partenariats internationaux. La préservation du massif forestier du Bassin du Congo, essentielle pour le climat mondial, passe par un changement profond des règles du jeu : un changement qui donne enfin à l’Afrique centrale le contrôle de sa propre ressource. Il appartient désormais à l’ONU d’en faire une priorité structurée de son calendrier climatique, faute de quoi la protection du deuxième poumon de la planète restera un discours sans action.
Philippe Assompi
Président de l’OPET-BC


