Rumba, RAP et Tourbières du Congo : la diaspora congolaise face à l’urgence climatique

Au cœur du bassin du Congo, entre Brazzaville et Kinshasa, s’étend un écosystème vital pour la planète : les tourbières du Congo. Véritables puits de carbone, elles renferment plus de 30 milliards de tonnes de CO₂, soit l’équivalent de trois années d’émissions mondiales. Mais cet héritage millénaire, vieux de plus de 14 000 ans, est aujourd’hui menacé par l’exploitation industrielle, la corruption politique et l’indifférence mondiale. Face à ce péril, une génération d’artistes rappeurs issus de la culture Rumba, désormais au sommet des scènes européennes, peut transformer sa notoriété en une dynamique pour défendre ce trésor écologique mondial.

Philippe Assompi

11/11/20254 min read

Un trésor écologique menacé au cœur de l’Afrique

Les tourbières du Congo, situées entre la République du Congo et la République démocratique du Congo, constituent l’un des plus grands réservoirs de carbone organique de la planète. Elles jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat mondial et abritent une biodiversité exceptionnelle, encore largement méconnue.

Pourtant, cet écosystème vital subit une pression croissante. Les multinationales du pétrole, du bois et des minerais convoitent ces terres au détriment de leur équilibre naturel. Cette exploitation se déroule souvent avec la bienveillance tacite de puissances occidentales, notamment la France et la Belgique, anciennes métropoles coloniales de la région.

Sous couvert de coopération et d’assistance technique, ces pays continuent d’exercer une influence paternaliste qui, tout en marginalisant les populations locales, maintient une forme de dépendance structurelle et justifie sur la scène internationale une politique d’ingérence économique.

Si ces tourbières se trouvaient en Europe, elles bénéficieraient sans doute de financements internationaux colossaux.

C’est pour corriger cette injustice que l’Organisation pour la Protection, la Préservation et la Promotion de l’Écosystème des Tourbières du Bassin du Congo (OPET-BC) plaide pour la création d’un fonds onusien dédié, directement géré par la société civile congolaise.

Un tel mécanisme permettrait de contourner la corruption au sommet des États, d’assurer la transparence des projets et de lier la préservation environnementale à la lutte contre la pauvreté.

En plaçant l’éducation et le bien-être des populations locales au centre des priorités, ce modèle offrirait aux congolais les moyens de devenir les véritables gardiens de ce patrimoine naturel unique.

La faillite politique et l’urgence d’une mobilisation populaire

La sauvegarde des tourbières ne peut dépendre uniquement des États concernés. La corruption endémique, la dépendance économique et l’opacité des décisions politiques paralysent toute action efficace.

Les populations locales, premières gardiennes de cet écosystème, manquent de moyens et de perspectives. Sans amélioration de leurs conditions de vie, accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, la conservation restera illusoire.

C’est pourquoi la responsabilité doit s’étendre à tous les niveaux : des communautés rurales jusqu’à la diaspora congolaise, qui dispose aujourd’hui d’un pouvoir d’influence considérable à travers la musique, les médias et la culture.

Rumba et RAP : deux rythmes pour un même combat

La Rumba congolaise, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, a longtemps incarné l’âme du peuple congolais : résistance, mémoire et unité. Le RAP, quant à lui, prolonge cette énergie de contestation en s’ancrant dans les réalités de la jeunesse urbaine.

De Damso, Maître Gims, Passi, Youssoupha, Sista Becky, Gradur, Ninho, Gazo, SDM, Dadju, Shay, Niska, Naza, une génération d’artistes issus de la diaspora congolaise domine aujourd’hui les scènes françaises et belges. Ces rappeurs, héritiers culturels de la Rumba et de la diaspora, portent une influence massive sur des millions de jeunes en Europe et en Afrique.

En s’appropriant la cause des tourbières du Congo, ces artistes peuvent faire ce que ni les politiques ni les ONG n’ont réussi à accomplir : créer une mobilisation populaire transcontinentale, à la fois culturelle et écologique.

Une alerte restée sans écho

Depuis des années, l’OPET-BC alerte, dans le silence général, les institutions onusiennes et européennes.

Elle plaide pour que l’éducation et le bien-être des congolais soient placés au cœur de la stratégie de préservation des tourbières, à l’image des politiques environnementales des pays nordiques, où la durabilité passe par le développement humain.

Mais ces appels peinent à trouver un écho dans les sphères internationales.

C’est ici que le rôle des rappeurs franco-congolais et belgo-congolais devient crucial : leur soutien public et leur influence peuvent rendre cette cause visible, audible et légitime aux yeux des décideurs européens.

Une campagne portée par des figures médiatiques issues du RAP aurait un impact immense, capable de rallier leurs pairs artistes occidentaux, les médias, les ONG et les institutions internationales autour de cette urgence environnementale.

Le pouvoir culturel comme moteur d’action

Le Rap est né comme une musique de résistance sociale, un cri contre les injustices et les inégalités. Il serait donc paradoxal que les rappeurs, aujourd’hui courtisés par les pouvoirs politiques des deux Congo, restent silencieux face à la plus grande menace écologique du continent.

L’alliance entre certains artistes et les élites dirigeantes, souvent corrompues, trahit l’esprit même du hip-hop : celui de la vérité et de l’engagement.

Au lieu d’être instrumentalisés, les rappeurs de la diaspora peuvent devenir les ambassadeurs d’une écologie populaire et panafricaine.

Leur parole, amplifiée par les réseaux sociaux et la culture numérique, peut transformer la perception des jeunes sur l’urgence climatique.

Les tourbières du Congo ne sont pas seulement un enjeu écologique : elles sont le miroir de notre responsabilité commune envers la planète. Préserver cet écosystème, c’est protéger la mémoire du fleuve, la vie des communautés locales et l’équilibre climatique mondial.

La Rumba et le RAP, fruits d’une même histoire et porteurs d’une identité forte, peuvent devenir des vecteurs d’éveil et d’action.

En unissant leurs voix, les artistes de la diaspora congolaise ont le pouvoir d’amplifier cette cause, d’en faire un mouvement culturel et citoyen.

Car au-delà de la musique, leur notoriété peut, et doit, se transformer en une dynamique pour défendre ce trésor écologique, patrimoine du Congo et bien commun de l’humanité.

Philippe Assompi

Président de l’OPET-BC