TotalEnergies au Congo : un projet carbone entre spoliation paysanne et greenwashing climatique

Au cœur des plateaux Batéké, en République du Congo, un projet présenté comme un levier de lutte contre le changement climatique s’est transformé en un symbole de dépossession foncière et de manipulation écologique. Le projet BaCaSi, porté par TotalEnergies, visait à planter des milliers d’hectares d’acacias pour compenser les émissions de CO₂ de l’entreprise. Mais derrière cette façade verte, les critiques fusent : expropriations, absence de consultation des communautés locales, efficacité carbone douteuse.

Philippe ASSOMPI

7/28/20254 min read

BaCaSi, un projet nain pour verdir l’image d’un géant pétrolier

En 2020, TotalEnergies annonce son projet de compensation carbone baptisé "Batéké Carbon Sink" (BaCaSi) - Puit de carbone Batéké. L’entreprise s’engage, via sa filiale Forest Neutral Congo, à planter jusqu’à 40 000 hectares d’acacias sur les hauts plateaux Batéké pour capter quelque 10 millions de tonnes de CO₂ sur vingt ans. Ce projet s’inscrit dans la stratégie de « neutralité carbone » de la multinationale, censée atténuer l’impact de ses activités pétrolières et gazières. Mais très vite, le projet révèle une mécanique de greenwashing approfondie, où la corruption des élites locales, le non-respect des droits fonciers et l’inefficacité écologique se conjuguent.

Des paysans expulsés manu militari

L’un des points les plus sensibles concerne l’accaparement des terres. Sur les zones ciblées, vivaient depuis des générations des paysans batékés, exploitant ces terres à des fins agricoles et pastorales. Sans réelle consultation, des centaines de familles ont été contraintes de quitter leurs terres ou de signer des documents dont elles ne comprenaient ni la portée ni les implications. Certaines ont reçu des compensations dérisoires, à peine 1 180,72 FCFA par hectare (soit 1,8 euro). Alors qu’en République du Congo, le prix d’un hectare de terre agricole varie à l’achat entre 5 et 20 millions FCFA (soit 7 600 à 30 000 €). En location, les prix sont beaucoup plus bas, autour de 40 000 FCFA/an (environ 60), Source: Étude Du Secteur Agricole Du Congo Diagn

Crise climatique : quand les énergies fossiles tuent

Selon Greenpeace, une étude de l’Imperial Collège de Londres, le réchauffement causé par les énergies fossiles a rendu les récentes vagues de chaleur de 2 à 4 °C plus intenses dans des villes comme Paris, Londres ou Madrid. Entre le 23 juin et le 2 juillet, environ 2300 décès prématurés ont été enregistrés dans 12 grandes villes - et près de 1500 d’entre eux n’auraient pas eu lieu sans la crise climatique. Le coût humain est déjà insupportable.

Les tourbières des deux Congo : un rempart climatique d’envergure mondiale

Les deux Congo, République du Congo et République Démocratique du Congo, abritent l’un des plus grands stocks de carbone organique au monde : les tourbières du bassin du Congo. Ces zones humides, couvrant plus de 145 000 km², contiennent environ 30 milliards de tonnes de carbone enfouies dans leur sol, soit l’équivalent de près de trois années d’émissions mondiales de CO₂. Leur préservation représente un enjeu vital pour la stabilité climatique mondiale. En cas de dégradation ou d’assèchement, ces tourbières libéreraient d’immenses quantités de carbone dans l’atmosphère, aggravant dramatiquement le réchauffement. Protéger ces écosystèmes revient à lutter efficacement contre le dérèglement climatique tout en sauvegardant une biodiversité exceptionnelle.

TotalEnergies au Congo : une dette environnementale historique à réparer

TotalEnergies n’est pas un acteur étranger aux réalités du Congo. Présente depuis les années 1960 sous la bannière d’ELF, cette multinationale française exploite depuis des décennies les hydrocarbures congolais, participant activement à l’économie extractive du pays. De Pointe-Noire aux zones offshore, l'entreprise a largement profité des ressources congolaises sans jamais assumer pleinement les conséquences écologiques, sociales et climatiques de ses activités. Aujourd’hui, c’est au Congo même que TotalEnergies porte une responsabilité climatique directe et massive. Elle ne peut se contenter d’un verdissement de façade comme le projet BaCaSi, qui maquille un modèle toujours fondé sur les énergies fossiles.

Il est désormais temps de réparer, de manière sincère et transparente, les impacts accumulés de cette exploitation. Cela passe par un engagement clair dans la préservation des tourbières du bassin du Congo, un écosystème vital pour le climat mondial et pourtant gravement menacé. Ce geste ne serait pas un simple acte de générosité, mais une obligation morale et historique, à la hauteur des profits tirés pendant des décennies d’un pays fragilisé.

Un engagement fort dans cette direction créerait un précédent vertueux et inciterait d’autres acteurs majeurs, tels que l’italien ENI ou même l’Agence Française de Développement (AFD), à rediriger leurs investissements vers des solutions fondées sur la nature, avec un impact carbone scientifiquement vérifiable.

Enfin, parce que TotalEnergies est une entreprise de droit français, l’État français a une responsabilité directe. Il lui revient d’exiger de ses champions industriels des pratiques exemplaires, notamment en matière de justice climatique. La France, qui se veut porteuse d’une diplomatie environnementale ambitieuse depuis la COP21, ne peut plus fermer les yeux sur les agissements de ses multinationales en Afrique centrale.

Une conférence internationale pour la transparence et la sauvegarde des tourbières

C’est dans cette dynamique que s’inscrit le projet porté par l’Organisation pour la Protection, la Préservation et la Promotion de l’Écosystème des Tourbières du Bassin du Congo (OPET‑BC). Cette organisation entend organiser à Paris, à l’occasion du 10ᵉ anniversaire de la COP21, une conférence internationale sur les tourbières du Congo. L’objectif est clair : exiger transparence, justice écologique et coopération internationale pour la sauvegarde de ces écosystèmes critiques. Il est impératif que la France soutienne activement cette initiative, tant par son appui diplomatique que par un engagement financier conséquent, afin de réaffirmer son rôle moteur dans la mise en œuvre des Accords de Paris et dans la protection des puits de carbone naturels mondiaux.

Pour une écologie qui respecte les peuples et les forêts. Le projet BaCaSi, loin de représenter une avancée climatique, illustre les dérives d’un capitalisme vert déconnecté des réalités locales. Pour que la transition écologique soit crédible, elle doit s’appuyer sur des solutions efficaces, équitables et scientifiquement fondées. La préservation des tourbières du bassin du Congo en est une. Elle requiert un engagement international fort, fondé sur le respect des populations locales et la transparence des financements. Face à l’urgence climatique, il ne s’agit plus de verdir des bilans, mais de changer de modèle.

Philippe Assompi

Président de l’OPET‑BC