Rumba, Rap et Racines : quand la mémoire musicale rencontre les tourbières du Congo
Le fleuve Congo est un trait d'union entre deux nations sœurs que des forces obscures ont toujours voulu séparer. Grâce à la rumba, les peuples des deux Congo sont restés unis. Aujourd'hui, avec la découverte des tourbières, cet écosystème vital pour l'humanité, il est temps que la musique inspire une prise de conscience pour que la communauté internationale reconnaisse les Congolais comme les véritables gardiens de ce trésor naturel.
Philippe Assompi
8/31/20253 min read


Quand la mémoire musicale devient arme de mobilisation
Née des rives du fleuve, la rumba congolaise a toujours été un langage de résistance et d’unité. Elle a traversé les décennies comme une mémoire vivante reliant Kinshasa et Brazzaville, les diasporas de Bruxelles et Paris, et toutes celles et ceux qui vibrent aux rythmes de ses guitares et de ses voix. Aujourd’hui, une autre génération prend le relais : celle des rappeurs belgo-congolais et franco-congolais, figures puissantes de la scène musicale européenne.
À l’heure où la planète fait face à une crise climatique sans précédent, ces artistes sont appelés à unir leurs voix pour défendre un patrimoine vital : les tourbières du bassin du Congo.
Les tourbières, un trésor menacé
Ces zones humides méconnues recouvrent environ 145 000 km², soit quatre fois la Suisse, et séquestrent à elles seules 30 milliards de tonnes de carbone, l’équivalent de vingt années d’émissions des États-Unis. Leur rôle est crucial : bien que les tourbières ne couvrent que 3 % de la surface terrestre, elles piègent à elles seules un tiers du dioxyde de carbone stocké dans les sols, selon le CNRS.
Pourtant, ce trésor naturel est menacé par les projets pétroliers, forestiers et miniers qui, s’ils se réalisent, libéreraient une bombe climatique aux conséquences irréversibles.
La voix des artistes comme levier d’action
Les grandes figures de la musique d’origine congolaise, de Maître Gims à KeBlack, de Youssoupha, Damso à Passi, de Shay à Naza, sans oublier Abd Al Malik ou Sista Becky, Dadju, Ninho, Niska et autres ont le pouvoir de transformer leurs chansons en plaidoyers. Leur notoriété dépasse les frontières, et leur parole, quand elle s’élève, peut porter jusqu’aux institutions internationales.
Imaginer un projet artistique collectif, à l’image d’un We Are the World, permettrait de sensibiliser le grand public et de mettre en lumière la valeur stratégique des tourbières pour l’avenir de la planète. Par la force des refrains, par la puissance des textes, la musique peut devenir le vecteur d’une diplomatie culturelle et écologique inédite.
Un combat aussi stratégique qu’écologique
La valeur du carbone séquestré par les tourbières du bassin forestier du Congo est estimée à 30 milliards de dollars par an (Center for Global Development). Un tiers de cette manne devrait logiquement être consacré à la préservation des tourbières. Mais les rapports qui soutiennent cette vision sont souvent relégués au second plan, éclipsés par les intérêts dominants du pétrole, du gaz ou du nucléaire.
D’où l’importance de créer un fonds spécifique, géré de manière transparente par les organisations de la société civile, les congolais de la diaspora et les communautés locales, avec l’appui du PNUD et du PNUE.
Trop souvent, sous l'influence des grande puissances, les institutions internationales traitent les populations africaines comme incapables d’assumer leur propre destin. Cette vision paternaliste doit cesser. La société civile congolaise, forte de ses savoirs, de ses communautés et de sa diaspora, possède toutes les compétences nécessaires pour gérer la préservation des tourbières et en faire un levier de développement durable.
Tourbières et populations : un avenir indissociable
L’avenir des tourbières ne dépend pas uniquement des décisions internationales. Il est étroitement lié à l'élévation du niveau de vie des congolais. Sans perspectives économiques, sans sécurité alimentaire et sans infrastructures sociales solides, la pression sur ces écosystèmes restera immense. Investir dans l’éducation est donc essentiel pour permettre une transmission durable des savoirs et des responsabilités, de génération en génération. Préserver les tourbières, c’est aussi garantir aux populations locales un avenir digne, afin qu’elles puissent elles-mêmes devenir les gardiennes de ce patrimoine unique.
La diaspora comme force de frappe
La France et la Belgique accueillent les plus grandes communautés congolaises à l’étranger. Si cette diaspora se levait comme un seul homme, elle deviendrait un acteur impossible à ignorer, capable d’interpeller directement l’Union européenne et les Nations Unies.
Dans cette mobilisation, la musique joue un rôle unique. La rumba a toujours uni les deux rives du fleuve ; le rap incarne aujourd’hui la voix des générations nouvelles. Ensemble, ils peuvent donner aux tourbières un hymne, un écho universel, une raison d’espérer.
La terre et la musique, un même héritage
Préserver les tourbières du Congo, c’est préserver bien plus qu’un écosystème : c’est protéger une mémoire vivante, celle des peuples et de leurs racines. La rumba a traversé le temps pour rappeler l’unité des deux Congo ; le rap porte les aspirations de la jeunesse face aux défis contemporains.
En se rejoignant, ces deux langages montrent que l’art peut devenir une arme de conscience. À travers les rythmes et les mots, la musique rappelle une vérité simple : sauver les tourbières, c’est sauver le Congo ; et sauver le Congo, c’est sauver la planète terre.
Philippe Assompi
Président de l'OPET-BC